RETRATOS DE TRABALHO – X
LA ROCHEFOUCAULD
“La saine philosophie ne fit pas en France d’aussi grands progrès qu’en Angleterre et à Florence; et si l’Académie des Sciences rendit des services à l’esprit humain, elle ne mit pas la France au-dessus des autres nations. Toutes les grandes inventions et les grandes vérités vinrent d’ailleurs.
Mais, dans l’éloquence, dans la poésie, dans la littérature, dans les livres de morale et d’agrément, les Français furent les législateurs de l’Europe. Il n’y avait plus de goût en Italie. La véritable éloquence était partout ignorée, la religion enseignée ridiculement en chaire, et les causes plaidées de même dans le barreau.
Les prédicateurs citaient Virgile et Ovide; les avocats, saint Augustin et saint Jérôme. Il ne s’était point encore trouvé de génie qui eût donné à la langue française le tour, le nombre, la propriété du style, et la dignité. Quelques vers de Malherbe faisaient sentir seulement qu’elle était capable de grandeur et de force; mais c’était tout. Les mêmes génies qui avaient écrit très bien en latin, comme un président De Thou, un chancelier de L’Hospital, n’étaient plus les mêmes quand ils maniaient leur propre langage, rebelle entre leurs mains. Le Français n’était encore recommandable que par une certaine naïveté, qui avait fait le seul mérite de Joinville, d’Amyot, de Marot, de Montaigne, de Régnier, de la satire Ménippée. Cette naïveté tenait beaucoup à l’irrégularité, à la grossièreté. […]
Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision, fut le petit recueil des Maximes de François, Duc de La Rochefoucauld. Quoiqu’il n’y ait presque qu’une vérité dans ce livre, qui est que l’amour-propre est le mobile de tout, cependant cette pensée se présente sous tant d’aspects variés, qu’elle est presque toujours piquante. C’est moins un livre que les matériaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. C’était un mérite que personne n’avait eu avant lui en Europe, depuis la renaissance des lettres...”
LA ROCHEFOUCAULD
“La saine philosophie ne fit pas en France d’aussi grands progrès qu’en Angleterre et à Florence; et si l’Académie des Sciences rendit des services à l’esprit humain, elle ne mit pas la France au-dessus des autres nations. Toutes les grandes inventions et les grandes vérités vinrent d’ailleurs.
Mais, dans l’éloquence, dans la poésie, dans la littérature, dans les livres de morale et d’agrément, les Français furent les législateurs de l’Europe. Il n’y avait plus de goût en Italie. La véritable éloquence était partout ignorée, la religion enseignée ridiculement en chaire, et les causes plaidées de même dans le barreau.
Les prédicateurs citaient Virgile et Ovide; les avocats, saint Augustin et saint Jérôme. Il ne s’était point encore trouvé de génie qui eût donné à la langue française le tour, le nombre, la propriété du style, et la dignité. Quelques vers de Malherbe faisaient sentir seulement qu’elle était capable de grandeur et de force; mais c’était tout. Les mêmes génies qui avaient écrit très bien en latin, comme un président De Thou, un chancelier de L’Hospital, n’étaient plus les mêmes quand ils maniaient leur propre langage, rebelle entre leurs mains. Le Français n’était encore recommandable que par une certaine naïveté, qui avait fait le seul mérite de Joinville, d’Amyot, de Marot, de Montaigne, de Régnier, de la satire Ménippée. Cette naïveté tenait beaucoup à l’irrégularité, à la grossièreté. […]
Un des ouvrages qui contribuèrent le plus à former le goût de la nation, et à lui donner un esprit de justesse et de précision, fut le petit recueil des Maximes de François, Duc de La Rochefoucauld. Quoiqu’il n’y ait presque qu’une vérité dans ce livre, qui est que l’amour-propre est le mobile de tout, cependant cette pensée se présente sous tant d’aspects variés, qu’elle est presque toujours piquante. C’est moins un livre que les matériaux pour orner un livre. On lut avidement ce petit recueil; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. C’était un mérite que personne n’avait eu avant lui en Europe, depuis la renaissance des lettres...”
Voltaire, "Des Beaux Arts", Le Siècle de Louis XIV
<< Home